.Les Enfants-Loups

   
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En l'an 1858, William Henry Sleeman rapporte dans " A journey through the Kingdom of Oude " qu'il se trouvait en 1850 au royaume de Oude, dans les Indes, afin d'y combattre les redoutables guerriers Thugs. Au cours de cette campagne, il se trouva confronté, à sept cas précis d'enfants humains adoptés par des louves allaitant encore leurs portées ou bien par des couples. En fait les cas d'adoptions d'enfants sont nombreux de par le monde et particulièrement aux Indes ou ils se comptèrent par dizaines ou plus et ce pratiquement jusqu'à nos jours, dès qu'on pris la peine de les étudier et de les recenser, c'est à dire depuis la deuxième moitié du xixème siècle.

. Remus et Romulus

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Romulus et son frère jumeau Rémus sont les fils de la vestale Rhéa Silvia et du dieu Mars. Rhéa Silvia est la fille de Numitor, roi de la légendaire ville latine d'Albe la Longue (fondée par Ascagne, fils d'Énée) et dépossédé du trône par son frère Amulius. Celui-ci, craignant que ses petits-neveux ne réclament leur dû en grandissant, prend prétexte qu'ils sont les fils d'une vestale, qui avait fait vœu de chasteté, et ordonne qu'on les jette dans le Tibre.

Mais l'ordre est mal exécuté, les nouveau-nés sont abandonnés dans un panier sur le fleuve, survivent (par la probable protection des dieux), et sont découverts sous un figuier sauvage (le ficus ruminalis) situé devant l'entrée de la grotte du Lupercale, au pied du Palatin, par une louve, qui les allaita et par un pivert, l'oiseau de Mars.

Tite-Live et Plutarque rapportent une autre explication de la légende : les jumeaux auraient été découverts dans la grotte du Lupercale par le berger Faustulus, gardien des troupeaux d'Amulius. Celui-ci les aurait confiés aux bons soins de sa femme Larentia, une prostituée  que les bergers appelaient lupa. Ce serait donc par un jeu symbolique que d'autres auteurs latins auraient créé le mythe de la louve biologique mère de Rémus et Romulus, tirant parti de la puissance redoutable de l'animal au profit de leur cité.

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Quand on connait l'histoire de Remus et Romulus, on peut être tenté d'en tirer une morale ou, pourquoi pas, d'en rechercher l'interprétation symbolique, qui en elle même est fascinante. Il serait toutefois intéressant d'aller plus avant dans une prise en compte de ces légendes dans leur réalité. Tout n'est pas que mythe ou simple fantasme, les exemples d'enfants élevés par des loups sont nombreux : l'enfant loup de la Hesse découvert en 1344 et pour qui les loups avaient creusé une fosse tapissée de feuilles, l'enfant de Chupra enlevé dans son village en Inde par une louve et retrouvé six ans plus tard et reconnu grâce à une cicatrice sont potentiellement des légendes car ces faits sont, à notre niveau loin dans le temps. Mais d'autres exemples, plus récents, tel l'enfant loup de Maiwana retrouvé en 1927, nous prouvent que effectivement derriére une légende peut se cacher une solide réalité.

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. L'enfant-loup de Wetteravie

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L'enfant-loup de Wetteravie, trouvé en 1544 près d'Echzel, dans la forêt de Hardt, en Bavière, fut l'un des premiers dont l'histoire ait retenu le nom. Il avait environ douze ans lorsqu'il fut capturé par des hommes. Cette même année, un autre enfant était découvert, en Hesse, parmi des loups. L'historien Philippe Camerarius rapporte que ce garçon avait été enlevé à l'âge de trois ans par ces animaux et qu'il marchait à quatre pattes. Les loups, dit-il, s'étaient pris de tant d'affection pour lui qu'ils le nourrirent des meilleurs morceaux de leur proie, et l'exercèrent à la course jusqu'à ce qu'il fût en état de les suivre au trot et de faire les plus grands sauts.

Ils prenaient grand soin de son bien-être, puisqu'ils avaient creusé une fosse pour l'abriter pendant la nuit et l'avaient garnie de feuilles. Ils se couchaient tous autour de lui pour le protéger du froid. Le naïf chroniqueur s'écrie : Si c' est vrai, cela est digne d'admiration. Faut-il s'étonner si, hébergé à la cour du Landgrave, Henri de Hesse, l'enfant-loup, avait dit qu'il préférait encore retourner avec les loups plutôt que de vivre parmi les hommes ?

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. Amala et Kamala

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Amala et Kamala ont été retrouvées le 9 octobre 1920 dans le district de Midnapour dans le Bengale occidental par le révérend et directeur de l'orphelinat local, Joseph Amrito Lal Singh. Il a transmis les informations sur ces enfants dans son journal intime. D'après ce journal, elles ont été trouvées dans la tanière d'une louve qui les défendait au même titre que ses deux louveteaux et que sa propre vie. Kamala avait à ce moment sept ou huit ans et Amala à peu près dix-huit mois. Les deux fillettes furent séparées de force des loups et ramenées à l'orphelinat de Midnapore. Elles étaient probablement sœurs, comme on le suppose souvent, mais auraient également pu être adoptées par les loups séparément dans le temps. Dans un cadre humain, les deux fillettes montrèrent un comportement typique d'enfant sauvage. Elles refusaient qu'on les habille, griffaient et mordaient les personnes qui essayaient de les nourrir, rejetaient la nourriture cuite et marchaient à quatre pattes. Les deux enfants avaient développé d'épais cals à la paume des mains et sur les genoux, à force de marcher à quatre pattes. Elles vivaient principalement la nuit, tenaient en aversion la lumière du soleil, et bénéficiaient d'une très bonne vision dans le noir. Elles manifestèrent aussi un sens de l'odorat aiguisé et des capacités auditives très développées. Elles aimaient le goût de la viande crue et mangeaient hors de leur bol, à même le sol. Les deux filles semblaient insensibles au froid et à la forte chaleur et ne montraient que peu d'émotions de quelque sorte que ce soit, exceptée la peur. Singh entreprit la tâche difficile de les intégrer à la société humaine. Kamala, la plus âgée des deux, s'habitua à vivre dans une maison, et à la compagnie d'autres êtres humains. Elle finit par apprendre à marcher debout, mais sans jamais y arriver de manière courante (elle revenait souvent sur quatre pattes lorsqu'elle avait besoin d'aller vite). Amala mourut en 1921, un an après la découverte d'une infection des reins. À la mort d'Amala, Kamala révéla des signes de deuil. À cette époque, Kamala devint moins farouche et plus facile à approcher. Elle apprit à parler quelques mots et à marcher laborieusement debout. Elle mourut en 1929 de fièvre typhoïde. À cause de plusieurs versions différentes, dont les seules preuves sont le témoignage du révérend Singh lui-même, un doute considérable persiste quant à la véracité de ce récit. Le mythe de l'éducation par les loups est une ancienne conception indienne pour expliquer le comportement animal d'enfants abandonnés atteints par une maladie congénitale.

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. Amala et Kamala... Révélation

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Serge Aroles, un chirurgien auteur de L'Enigme des enfants-loups (2007), fut le premier à mener des investigations complètes dans les archives relatives à ce cas (Inde, Angleterre, États-Unis). Les documents découverts par Serge Aroles sont tellement accablants, qu'il écrit : "Battue, maltraitée par Singh, Kamala était une fillette déficiente mentale qui n'avait jamais vu de loups. Cette trop célèbre histoire d'enfant-loup ne relève pas de la science, mais de la justice".

- 1) L’original, conservé au Département des manuscrits de la Bibliothèque du Congrès (Washington), objective bien que le fameux Journal « tenu au jour le jour », consignant la rééducation des deux plus célèbres enfants-loups, est un faux document rédigé en Inde après 1935, alors que les fillettes décédèrent en 1921 et 1929.

- 2) Les rapports annuels du diocèse de Calcutta pour l'année 1921 certifient que Amala et Kamala sont deux fillettes déposées à l’orphelinat de Midnapore par ceux qui voulaient s'en débarrasser, et pas du tout des fillettes délivrées dans la jungle lors de l’héroïque combat contre les loups que Singh inventera plus tard : « Elles nous furent amenées et nous les prîmes en charge » (Calcutta Diocesan Record, décembre 1921, vol. 10, n°9, pages 266-267 : « They were brought to us and we took charge of them »).

- 3) Les rapports annuels du diocèse de Calcutta pour l'année 1923 (Calcutta Diocesan Record, octobre 1923, vol. 12, n°10, page 198) et, plus accablant encore, le rapport du médecin en charge de l'orphelinat (repris dans The American Journal of Psychology, 1934, p.149), certifient que Kamala ne présente aucune des ahurissantes anomalies physiques que Singh inventera pour elle après qu'elle décédera (canines géantes, mâchoires de fauve, locomotion quadrupède avec articulations des hanches et des genoux bloquées, vision nocturne avec intense éclat bleu émis de nuit par ses yeux, etc.).

- 4) Les célèbres photographies montrant les deux fillettes mangeant ou dormant en posture de fauve sont des compositions réalisées en 1937, bien après leur décès. Elles mettent en scène deux autres figurantes, pensionnaires de l’orphelinat, jouant le rôle d'enfant-loup (marche à quatre pattes, etc.) à la demande de Singh. Serge Aroles a retrouvé deux photographies de l'authentique Kamala, qui, fort dissemblable de visage et de corps à sa musculeuse doublure des images truquées, est très maigre.

- 5) Le certificat publié par Singh à la fin de son prétendu "Journal", certificat daté du 4 octobre 1934, selon lequel le juge du district de Midnapore, Mr Waight, assure qu’il a « étudié avec attention » l’ensemble des documents et des témoignages relatifs à ces deux enfants-loups, est un faux document. Dans une correspondance que Serge Aroles a échangée en avril 1997 avec la fille du juge Waight, celle-ci lui confirma que son père n’avait jamais procédé à de telles investigations au sujet des filles-loups, qu’il n’avait, au reste, jamais vues. Cette attestation n’a pas été rédigée par le magistrat ou son contenu fut modifié, ce qui explique qu’elle eût été publiée à son insu.

- 6) Des témoins de premier ordre, dont l'instituteur de l'orphelinat, des missionnaires, etc., certifient que Singh maltraitait Kamala et la tenait recluse, ne la sortant que pour l'exhiber à ses visiteurs. « Aucun comportement sauvage ou féroce », « Jamais on ne la vit marcher à quatre pattes », « N’osait soutenir le regard et tenait la tête baissée », etc. (Genetic Psychology Monographs (1959, n°60, pp.117-193).

-7) Selon Serge Aroles, qui a examiné six cartes anciennes et très détaillées de cette région (1917-1932, donc contemporaines des événements), jamais n’ont existé le village près duquel se serait déroulée la capture et celui où Singh aurait été quérir du renfort pour libérer les fillettes des loups (à la lisière de la province du Mayurbhanj). On ne peut donc retenir que ces lieux auraient depuis changé de nom, ce d'autant que ces deux villages sont inconnus des registres (police, cadastre, recensement, etc.) des années 1920, lorsqu’ils étaient supposés porter leur premier nom de baptême.

- 8) Selon Serge Aroles, jamais un récit aussi grotesque n’eût reçu son universel succès sans l’aide d’un universitaire américain, le Pr. Zingg, qui accrédita (Wolf Children and feral man, 1942) cette fallacieuse histoire de fillettes capturées parmi les loups, car elle lui semblait financièrement prometteuse. Par une lettre du 20 mai 1940, il se réjouissait d’un premier chèque, qui arrivait à point pour ses affaires en Bourse, et proposait à un auteur à succès d’exploiter avec lui ce filon, « en faisant 50-50 » sur les bénéfices (correspondance conservée au Département des manuscrits de la Bibliothèque du Congrès, à Washington). Dans le même filon financier, Singh avait conclu un accord afin que Kamala soit exhibée aux États-Unis, mais elle décéda prématurément.

- 9) Il est bien d'autres arguments développés par Serge Aroles, qui, après analyse de tant de documents d'archives, donc de première main, fut le premier à pouvoir avancer un diagnostic médical : Kamala souffrait d'un syndrome de Rett. En revanche, nul diagnostic n'est permis à propos d'Amala, qui, en provenance de sa famille, et non pas d'une tanière de loups, décéda un an après son arrivée à l'orphelinat.

- 10) Recueillant le succès populaire, cette fausse histoire d'enfant-loup a fait l'objet de centaines de naïves publications de par le monde, sans que nul de ces auteurs ne mène des investigations approfondies dans les archives, et Serge Aroles dénonce le rôle implacable joué par les éditeurs, qui toujours ont préféré la rentabilité de cette fiction à la déception qu'est la vérité. Il rappelle que l'enquête accablante menée en 1951-1952 ne trouva pas d'éditeur (elle fut publiée longtemps après dans une revue confidentielle, le Genetic Psychology Monographs de 1959, N° 60) et que lui-même essuya de nombreux refus d'éditeurs :

"Avec vos archives, vous détruisez toutes les belles histoires d'enfants-loups auxquelles les gens aiment croire"

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. Bibliographie

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- ABRAHAM Nicolas, TÖROK Maria. Le Verbier de l’homme aux loups. éd. Flammarion, 1999. Association Freudienne Internationale.

- ABRAHAM Nicolas, TÖROK Maria. Les embarras des psychanalistes devant le cas de l’homme aux loups. éd. Association Freudienne, 1997

- FLEMI. De Freud et de ses patients: L’homme aux loups. éd. Hachette, 1986

- FREUD Sigmund. L’homme aux loups. éd. P.U.F, 1970

- GINESTE Thierry. Victor de l’Aveyron: dernier enfant sauvage. éd. Hachette, 1993

- ITARD Jean-Marc. Il y a 150 ans, l’enfant sauvage. éd. Lieux de l’enfance, 1988

- MAHONY Patrick J. Les hurlements de l’homme aux loups. éd. P.U.F, 1995

- MALSON Lucien. Les enfants Sauvages. éd. Union Générale d’éditions, 1964

- MARINOV Vladimir. Rêve et Séduction: art de l’homme aux loups. ed. P.U.F, 1999

- PINKOLA-ESTES Clarissa. La femme qui court avec les loups.

- SINGH A.T. Zing. L'homme en friche: de l' enfant-loup à Kaspar Hauser. éd. Complexe, 1980

 

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